Enfants confiés à un proche dans le cadre de la protection de l’enfance.

Notice bibliographique

Tillard, B., et Mosca, S. (2016). Enfants confiés à un proche dans le cadre de la protection de l’enfance. Observatoire national de la protection de l’enfance.

 

Résumé

Cette recherche a été menée dans la région des Hauts-de-France, avec la collaboration d’un service d’AEMO du département du Nord pour la partie qualitative et des services du département du Nord et du Pas-de-Calais pour sa partie quantitative. Dans un premier temps, l’étude quantitative dresse les principales caractéristiques des mesures de « Tiers Digne de Confiance » (TDC) prononcés par les juges en comparant celles associées à une mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) et celles non associées à une AEMO. D’après les données de la DREES, les mesures de TDC correspondent à 7% des placements. L’analyse de la base de données permet de mettre en évidence que dans le département du Nord (870 mesures au 31 décembre 2014), les mesures de TDC sont accompagnées une fois sur deux d’une AEMO. Entre les groupes de mesures TDC avec AEMO versus sans AEMO, il n’y a pas de différence significative selon le sexe. La distribution de l’âge des enfants placés chez un TDC et faisant l’objet d’une AEMO se rapproche de celle de l’ensemble des enfants en protection de l’enfant dans la région, tandis que celle des enfants seulement concernés par le fait d’être confié à un tiers présente la particularité de concerner davantage d’adolescents de 15 à 17 ans. Même s’ils ne rendent pas compte de l’ensemble des mesures, deux types de situations peuvent se distinguer parmi les mesures de TDC. D’une part des mesures concernant des adolescents dont c’est la première rencontre avec le système de protection de l’enfance, d’autre part des situations ressemblant à l’ensemble des mesures de protection de l’enfance dans la région : commençant tôt dans l’enfance, se poursuivant sous différentes formes dont ici, celle du placement chez un TDC. L’étude qualitative a été réalisée entre juin 2014 et septembre 2016. Elle concerne les enfants confiés à un proche et faisant l’objet d’une Action Educative en Milieu Ouvert (AEMO). Seules 4 des 30 situations correspondent à un arrangement à l’amiable entre les membres de la parenté. La plupart des interventions portées à notre connaissance (26/30) sont des mesures prononcées par le juge qui attribue au(x) membre(s) de la parenté le statut de TDC. Cette étude montre que ce sont plus souvent les femmes qui sont désignées TDC, même lorsqu’il s’agit de l’accueil par un couple. Les tiers sont de condition modeste même si le tiers appartient généralement à la moins dépourvue des familles maternelle ou paternelle. Les grands-parents sont le plus souvent désignés comme tiers digne de confiance avec un équilibre entre l’implication des deux lignées, ce qui diffère des études précédentes. De plus, le sexe de l’enfant n’intervient pas dans une hypothétique attribution privilégiée à l’une ou l’autre des familles. Si l’on considère les enfants issues de la mère, l’enfant confié à un proche est plus souvent un aîné. Par ailleurs, les fratries (issues d’une même mère) sont très souvent touchées simultanément par d’autres formes de placement en famille d’accueil ou en établissement. Nous avons constaté que, contrairement à d’autres études, les enfants étaient majoritairement placés chez un proche avant l’âge de 10 ans et pour des durées conséquentes. Au début de notre étude, ¼ des enfants vivait chez le proche depuis au moins 6 ans. Conformément à l’approche quantitative présentée au début de ce rapport, l’étude montre qu’à côté de quelques placements survenant durant l’adolescence, la plupart des enfants concernés par notre recherche sont des enfants placés relativement tôt et pour des durées longues en rapport avec les problématiques complexes, souvent rencontrées en protection de l’enfance. Les rares adolescentes [Clémentine (1), Mélia (17), Claire et Coralie (23)] dont la mesure commence tardivement, font cependant d’emblée l’objet d’une mesure d’AEMO associée au fait d’être confiées à un proche, en raison soit d’une situation très vive de rupture et de violence conjugales (1), soit de problématiques complexes (meurtre et emprisonnement du père (17), inceste révélé par les adolescentes (23)). Le choix d’entrer sur le terrain par le service d’AEMO ne permet pas de rejoindre des adolescents faisant l’objet d’un placement chez un proche sans mesure d’AEMO, situations dont l’étude quantitative laissait entrevoir l’existence. Les proches soulignent que c’est souvent leur premier contact avec les services sociaux, que les premières audiences sont particulièrement stressantes, qu’ils connaissent peu leurs droits et devoirs et qu’ils découvrent les attributs des différents professionnels de la protection de l’enfance. Lorsque nous les avons rencontrés, ils ont bien intégré les préoccupations des travailleurs sociaux sur le respect des places de chacun. Aussi, insistent-ils sur le fait qu’ils ne sont pas les parents. Ils font régulièrement référence au travail parental qu’ils effectuent et à la « bonne distance » qu’ils préservent. La question des places et de la substitution des parents, et particulièrement de la mère, est un point auquel veillent les professionnels de la protection de l’enfance. Ces questions se retrouvent fréquemment dans les travaux sur les familles d’accueil. Cependant il semble que cette surveillance soit encore plus attentive lorsque la personne en charge de l’enfant est un membre de la parenté. L’importance des situations de précarité pose avec acuité la question du soutien financier aux proches accueillants. Dans ce contexte, le lecteur s’étonnera que l’allocation d’entretien ne soit pas systématiquement versée, dès lors que le juge des enfants a désigné le tiers, ou encore qu’une démarche systématique et proactive ne soit entreprise en ce sens par les services sociaux, (il conviendrait de définir à qui reviendrait cette tâche en cas d’une part, de mesure simultanée d’AEMO et d’autre part, en son absence). En effet, pour certaines situations, le travail éducatif des proches est doublement gratuit : il n’entraîne pas de salaire, et n’ouvre pas systématiquement à un dédommagement des frais. Ajoutons à cela les hésitations des travailleurs sociaux à modifier le nom du bénéficiaire des allocations familiales, de peur de mettre symboliquement le parent, un peu plus sur la touche. Au total, comme dans les études anglaises, les problèmes matériels du proche ne sont sans doute pas considérés à leur juste mesure. Actuellement, il faut que le proche lise attentivement le jugement et entreprenne de lui-même les démarches auprès du conseil départemental. Prendre cette initiative est d’autant plus coûteux que les proches acceptent ce statut, mus par une obligation morale, avec le sentiment de devoir tout faire pour éviter un placement hors de la parenté. Tenus par cette obligation morale, ils peuvent ressentir un certain malaise à réclamer des contreparties à cet engagement. Dans le même ordre d’idée, compte tenu de la précarité des familles concernées et du manque d’information sur le statut du tiers et de l’enfant confié, il serait sans doute opportun que les possibilités d’aides aux jeunes majeurs soient davantage portées à la connaissance des familles. Dans les cas parvenus à la majorité en cours d’étude, la mesure s’est interrompue et il ne nous a pas été possible d’entrer en contact avec ces familles. Cet arrêt brutal confirme les données quantitatives qui mettaient en évidence un très faible nombre de maintien dans la protection après la majorité pour les enfants placés chez un tiers digne de confiance. D’autre part, le travail de Sarah Mosca auprès des familles a mis en évidence que le rôle du proche s’exerce au sein d’un réseau familial de proximité, peu connu des intervenants sociaux. Il s’inscrit dans la durée et bien souvent précède le placement. Ce point avait déjà été constaté en Angleterre, mais le présent travail a pu compléter cette information en observant que ce soutien bénéficie souvent aussi bien au(x) parent(s) qu’à l’enfant, ce qui n’exclut pas des mésententes entre le(s) grand(s)-parent(s) et le(s) parent(s) de l’enfant. Par ailleurs, les entretiens avec les travailleurs sociaux ont montré que ce soutien se prolonge dans les moments de retour de l’enfant auprès du/des parent(s). Les travailleurs sociaux regardent cette continuité avec pragmatisme tout en s’interrogeant sur les raisons qui mobilisent les proches. Les proches s’organisent pour accueillir, présentent seuls ou avec l’aide de l’entourage l’enfant aux visites en lieu neutre ou médiatisé, s’accommodent des tracasseries administratives engendrées par une situation rare et floue, pourvoient aux besoins de l’enfant, s’entourent du soutien dont ils ont besoin en faisant appel aux membres de la parenté vivant à proximité, mais tant d’engagement conduit souvent au doute des professionnels : pourquoi font-ils tout cela ? Les travailleurs sociaux oscillent donc entre la recherche de motivations inavouées et le fait de saisir l’opportunité d’une solution qui, le plus souvent, a déjà fait ses preuves avant la crise. Cependant, dès qu’un père ou une mère exprime son souhait de présence auprès de l’enfant, et conformément au paradigme français en protection de l’enfance qui privilégie le retour chez le(s) parent(s), le filet de sécurité que les proches ont tissé autour l’enfant cède le pas au désir du parent et retourne à son statut informel. Il faut organiser des rencontres, établir un lien qui n’a parfois jamais existé, au risque d’insécuriser le proche et l’enfant. Si le parent n’a pas assumé son rôle depuis de nombreux mois, s’il n’a pas donné signe de vie à l’enfant et à son entourage, s’il ne s’est pas inquiété de lui, fusse à distance, il peut néanmoins surgir à tout moment. D’une certaine manière, les devoirs du parent à l’égard de l’enfant semblent pouvoir s’exercer de manière discontinue sans que cela remette en cause la totalité de ses droits. Cette étude pose une question commune à tous les dispositifs de suppléance parentale : comment établir ou maintenir une forme de parentalité sans aggraver la discontinuité des parcours ? La pluriparentalité, concept qui entrevoit la possibilité de plusieurs figures d’attachement non concurrentielles semble avoir bien du mal à s’imposer en France. Lorsqu’on prend en compte l’obsession de ne pas prendre la place du parent, tout en assumant les fonctions, tant dans les discours des travailleurs sociaux que des proches, on mesure combien la pluriparentalité est un impensé de la protection de l’enfance pour l’ensemble de ses acteurs quotidiens. Comme cela a été relevé par Hunt dans ses travaux, les proches souhaitent avoir l’occasion de parler entre pairs ou avec un interlocuteur différent de la personne en charge de la mesure pour l’enfant. En effet, face à l’éducateur d’AEMO mandaté pour assurer des relations satisfaisantes entre le tiers et le parent, face à la fragilité du dispositif qui met en avant le droit du parent sans en garantir pour le proche, l’expression des difficultés réelles ou subjectives auprès de l’éducateur est perçue comme pouvant desservir la poursuite de la garde. L’éducateur d’AEMO est bien identifié comme servant l’intérêt de l’enfant et la régulation des conflits. En conséquence, il n’apparaît pas comme un intervenant neutre susceptible de soutenir le proche à part entière. Enfin à l’issue de cette étude, une question reste posée : est-ce que la recherche d’un proche susceptible d’accueillir l’enfant est entreprise de manière systématique lorsqu’il apparaît aux travailleurs sociaux qu’il serait nécessaire d’avoir recours à un placement ? Avec les nouvelles possibilités ouvertes par la loi du 14 mars 2016, cette question sera sans doute à l’ordre du jour dans les mois à venir. La présente étude tire les leçons de l’expérience des parents et des professionnels de cas jusqu’ici rencontrés dans le cadre juridique.

Publication du membre

Bernadette Tillard

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Année

2016